La chronique du Dernier Jour

31 décembre 2020.

Le Dernier Jour s’est levé doucement ce matin, en silence, discrètement entre deux flocons de neige. Depuis de longs mois déjà, les Autres Jours l’ont fait presqu’en cachette comme s’ils avaient honte de l’éclairage blafard qui donne à voir le désastre qui traverse le monde du nord au sud et de l’est à l’ouest.
Pourtant, pendant une année, ils ont fait leur travail silencieux et apporté une lueur chacun à son tour sans jamais faillir. Comme d’habitude, personne n’a prêté une véritable attention à ce phénomène qui se perpétue depuis la nuit des temps et qui parait finalement naturel. Chacun d’eux pourtant s’en est emparé machinalement avec de petites expressions toutes faîtes: bonjour, jour de chance, mauvais jour, jours heureux… Tout et son contraire en somme!

Le Dernier Jour, lui, doit clore un cycle d’une année alors que les Autres Jours n’ont qu’à perpétuer le mouvement une fois lancé par le Premier Jour qui, lui aussi, a un le rôle particulier, celui de donner l’élan bénéfique de l’année suivante.
Ah ! comme le Premier Jour de 2020 avait eu fière allure! En pleine effervescence du mouvement de grève contre la réforme des retraites, il avait fièrement inauguré l’arrivée de la nouvelle année avec la certitude qu’il se passerait plein de belles choses en 2020… Malheureusement, et pour une raison absolument inconnue, les Autres Jours qui ont suivi n’eurent pas le même entrain d’optimisme: une épidémie de craintes et de désillusions s’enchainèrent dès le deuxième mois.

Au printemps, chaque Autre Jour amena son éclairage sur un malheur ou un autre, ils ont plongé dans la peur du lendemain, et l’espoir d’un monde meilleur fut rangé au fond des cœurs sous des piles de vieilles croyances, de vieilles peurs ou de vieux démons. Les Autres Jours, pendant de longs mois, se succédaient sans bruit de peur d’être accusé de tous les maux qui s’abattaient sur la terre en même temps que le confinement. Des rituels infantiles firent leur apparition sous la forme d’une auto-attestation dont la forme changea plusieurs fois, puis vint le temps des visages masqués: tous ces rituels servaient de sésame pour sortir de jour comme de nuit. Ils s’amusaient comme des gosses sans s’apercevoir que les Autres Jours s’enchainaient encore plus vite.

Puis de bons Autres Jours enfin firent venir la libération de l’été et à nouveau le sens de la fête. Que de monde sur les bords de mer ou dans les jardins pour embrasser les rayons du soleil qui avait tant manqué sur les visages enfin démasqués qui en profitèrent pour s’aimer comme au bon vieux temps! Le retour des jours heureux avait dit le président.
Mais de mauvais Autres Jours sont revenus avec l’automne et les vieilles querelles redoublèrent. Les Autres jours alors se sont mis à ressembler à ceux du printemps et ont repris leur jeux infantiles et un funeste repli individuel. Les Autres Jours ont commencé à se lasser de cette situation ubuesque où ils se disputent sans cesse sur les détails sans jamais se questionner sur le fond des problèmes qui a conduit à ce chaos mondial. Les Autres Jours souhaitaient tous que le Dernier Jour prenne la décision d’en finir avec l’année 2020 pour passer à autre chose et enfin redémarrer sur de nouvelles bases.

Le Dernier Jour, précis comme une horloge, est bien arrivé le 31 décembre comme chaque année. Il n’est pas pressé et il n’intervient qu’à la date qui lui est imparti: c’est un légaliste. Cependant, il a réfléchi une année entière et a bien observé les Autres Jours qui se sont agités depuis sa dernière intervention. Il est triste qu’ils n’aient pas pu redresser la situation qu’avait légué le Premier jour. Le Dernier Jour est fatigué de cette année d’épidémie de la peur de l’Autre Jour pour l’Autre Jour. Ce cercle vicieux l’affecte beaucoup et il finit par ne plus croire à l’Autre Jour heureux qu’il est chargé de souhaiter quand son temps va s’éteindre. Il est pensif et désespéré. Le Dernier Jour épuise toute sa bonne humeur mais peu à peu les doutes envahissent sa pensée et ses yeux se cachent derrière les larmes. A cause des sanglots le Dernier Jour n’a plus de voix pour exprimer les traditionnels vœux.

Tant pis, se dit-il, ce soir je vais me taire malgré le texte écrit par la tradition ancestrale du Dernier Jour.
Le Dernier Jour tire sa révérence en silence donc et part rejoindre le Premier Jour, même si cette fois il sera incapable de lui transmettre la flamme éternelle du temps.

Texte et photo Copyright Daniel Margreth.

Daniel Margreth

Jour et Nuit. Des nouvelles d'ici et d'ailleurs. Photo-Reportages, Chroniques, Art et Culture.

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